Philippe de Gueldre est née le 9 novembre 1467 à Grave au Pays-Bas. Philippe est la fille de Catherine de Bourbon et d’Adolphe d’Egmont, duc de Gueldre, aujourd’hui une des provinces des Pays-Bas.
L’union de René II, duc de Lorraine, et Philippe est célébrée à Orléans le 1er septembre 1485…
Philippe est de haute naissance mais elle vit une enfance malheureuse avec un père déséquilibré, avide de pouvoir, qui sera déshérité, et une mère névropathe qui meurt quand elle a 5 ans.
Elle est envoyée avec Charles son frère, chez une de leurs tantes, Catherine de Gueldre, qui leur donne une éducation très religieuse et s’en occupe jusqu’à la mort du père en 1473.
Après un séjour à Gand, Philippe est accueillie à Orléans, à la cour de Madame de Beaujeu, une autre de ses tantes. Elle a l’intention d’entrer en religion, mais pour des raisons politiques, sa tante lui fait épouser le duc de Lorraine René II, le vainqueur de Charles le Téméraire.
René II est déjà marié avec Jeanne d’Harcourt depuis 1471, mais il a demandé au pape l’annulation de ce mariage au prétexte que Jeanne est stérile. L’annulation ne sera confirmée qu’en 1487, mais l’union de René II et Philippe est tout de même célébrée à Orléans le 1er septembre 1485.
Philippe devient duchesse de Lorraine et de Bar et aussi reine de Sicile et de Jérusalem, titre auquel elle teint beaucoup, bien qu’il soit purement nominatif.
A la mort de Jeanne en 1482, Philippe insiste pour se marier une deuxième fois. La cérémonie, occasion de grandes réjouissances, a lieu à Nancy le 11 décembre 1488.
De cette union naîtront 12 enfants dont 7 mourront en bas âge. Les différents lieux de naissance de ces enfants montrent que la duchesse voyage beaucoup de château en château : le plus lointain l’a conduite dans le Jura, en compagnie de son fils Antoine, à Saint Claude, pour remercier le saint d’avoir guéri son mari.
Le roi Louis VII qui séjourne à Lyon avec son épouse Anne de Bretagne, l’invite. Elle est très bien reçue mais elle doit laisser son fils âgé de 9 ans pour qu’il soit élevé à la cour de France. Cette pratique permettait de créer des liens très forts entre les princes étrangers et la cour de France.
Crédit photo : ms 5125, folio 3v
Le duc René II de Lorraine et la duchesse Philipote de Gueldre avec leurs fils
Vita Christi par Ludolphe le Chartreux. 1506.
Quand ils vivent à Nancy, le duc et la duchesse vivent au palais ducal qu’ils vont rénover et agrandir en faisant appel à des artistes lorrains.
Philippe s’intéresse tout particulièrement à la création des jardins. Dans « Le jardin de la Reyne » on plante des arbres fruitiers et on installe un vivier. Le train de vie, en dehors des grandes réceptions, est modeste.
La duchesse aime la chasse, la musique et elle tisse de riche ornements d’église. Elle est très pieuse et la charité est un caractère marquant de sa personnalité : elle secourt les pauvres et les orphelins, visite les malades dans les hôpitaux et s’emploie, avec son mari, à soulager les misères du peuple pendant la terrible famine de 1502 et au cours de la grave épidémie de peste qui entre 1503 et 1506, a décimé la population.
Philippe gouverne en l’absence de son époux qui parcourt la Lorraine, visite les possessions de son grand-père le roi René en Italie ou séjourne à la cour de France.
René II meurt le 10 décembre 1508, au retour d’une chasse au loup.
Dans son testament, il a institué son fils Antoine unique héritier et Philippe régente. La noblesse lorraine, qui ne veut pas être gouvernée par une étrangère, proclame Antoine duc de Lorraine. Philippe règnera tout de même pendant qu’Antoine suit le roi Louis XII en Italie puis réside à la cour de France.
Antoine se marie en 1515 et prend possession des duchés de Lorraine et de Bar.
Philippe quitte Nancy et séjourne alternativement à Bar et à Joinville, exerçant la tutelle sur ses enfants mineurs. Quand son plus jeune fils atteint l’âge de 13 ans, il reçoit quelques titres et biens. Elle peut réaliser enfin, son vœu le plus cher, entrer en religion.
Le 8 décembre 1519, fête de l’Immaculée Conception, elle intègre le couvent des clarisses de Pont-à-Mousson. Elle y passa 27 ans et 3 mois, et bien que de santé fort chancelante, elle atteindra l’âge plus que respectable pour l’époque de 85 ans. Elle prononce ses vœux solennels le 8 décembre 1520.
Le pape la dispense rapidement, en raison de son état de santé, des règles rigoureuses de l’ordre des clarisses. Elle a une petite chambre à elle et dispose d’un oratoire personnel. Elle reçoit souvent des victuailles : truites, écrevisses, vins et fromages.
A partir de 1540, elle souffre de violentes crises de coliques hépatiques qui surviennent le vendredi et la contraignent à rester alitée toute la journée tandis qu’elle garde les yeux fixés sur le crucifix. Pour les clarisses, elle vit la passion.
Elle meurt le 26 février 1547 après une agonie de 2 jours pendant lesquels elle semble en extase.
Lors de l’autopsie, les médecins découvrent un énorme calcul biliaire qui avait du provoquer d’insupportables douleurs.
Son corps embaumé est inhumé à Pont-à-Mousson. Ligier Richier a sculpté son gisant. Son tombeau devient un lieu de pèlerinage et le peuple proclame Philippe « bienheureuse », mais le Vatican n’a pas reconnu sa sainteté.
En septembre 1792, les clarisses sont expulsées, le couvent dévasté, la tombe de Philippe et ses ossements dispersés. Le couvent de Pont-à-Mousson n’existe plus. Le tombeau a été restauré et transféré dans l’église des Cordeliers de Nancy.
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Extrait de « Femmes célèbres de Nancy »
Connues, méconnues, oubliées, les trente Nancéiennes dont la vie est évoquée ici ne sont pas toutes « célèbres ». Duchesse, religieuse, aventurière ou artiste, chacune a marqué son époque par sa présence et son action. Leur point commun ? Une personnalité exceptionnelle qui mérite bien cet hommage.
Isabelle de Lorraine, Marie Marvingt, Marcelle Dorr, Elise Voïart, Elisabeth de Ranfaing…
10 euros – Hall du Livre Nancy
Partenaire : Université de la Culture Permanente
12 place de la Croix de Bourgogne – Nancy
www.ucp-nancy-org
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NB
Philippe était effectivement un prénom féminin jusqu’à la moitié du XIXe siècle, au moins.
Et même depuis longtemps. Il fut donné, dès le XIIIe siècle, à la fille de Roger IV comte de Foix.
Sans genre attribué, c’est un prénom épicène.
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Présenté dans l’église des Cordeliers, le gisant de Philippe de Gueldre est un véritable chef-d’œuvre de la sculpture lorraine et une pièce majeure de la collection du Musée Lorrain.
Philippe de Gueldre a souhaité être inhumée dans le cimetière du monastère, couvent des Clarisses de Pont-à-Mousson, au pied d’un modeste cénotaphe, mais ses descendants en décident autrement.
Ils commandent un monument (dont seul le gisant nous est parvenu aujourd’hui), destiné à l’église-même du couvent, au sculpteur lorrain Ligier Richier, « imagier » du duc Antoine depuis 1530, dont les œuvres jouissent, déjà alors, d’une grande notoriété.
Après la saisie de l’ensemble conventuel comme bien national à la Révolution, la sculpture est transportée dans un village voisin. Elle n’est redécouverte qu’en 1822 par la Commission des antiquités du département de la Meurthe, qui en fait l’acquisition et la dépose dans l’église des Cordeliers de Nancy.
La sculpture représente la duchesse drapée dans sa robe de Clarisse, le visage serein, les mains à plat posées l’une sur l’autre. À ses pieds, une petite orante, le visage triste, tient la couronne royale.
Initiée en 2009, la restauration du gisant de Philippe de Gueldre a révélé d’importantes informations sur l’histoire matérielle de l’œuvre et particulièrement sur le travail de Ligier Richier.
En effet, les restaurations anciennes et le passage du temps avaient faussé la perception du gisant, le rendant uniforme, dans des tonalités noires.
La restauration fondamentale a permis de redécouvrir une gamme chromatique plus nuancée et subtile et a montré que le sculpteur a travaillé trois calcaires de grains et de couleurs différents, qui apportent naturellement une polychromie et un effet de matière conforme à l’habit des « sœurs grises ».
Calcaire fin blanc crème pour les visages, la couronne, la barbette et les mains ; calcaire gris bleuté (probablement de Belgique) pour les voiles ; calcaire gris légèrement doré à ocre (lumachelle) pour la robe de la défunte et de l’orante.
le site du Musée Lorrain – ici